Press  28.05.21

Le Journal des Arts, « Zao Wou-Ki, le passeur de la lumière » by Itzhak Goldberg

La rétrospective aixoise consacrée au peintre franco-chinois disparu en 2013 met en valeur son travail sur la lumière et la couleur.

Aix-en-Provence. Zao Wou-Ki (1920-2013) offre l’exemple d’un créateur qui fait l’expérience des frontières : entre l’Orient et l’Occident, entre l’Europe et les États-Unis, entre l’abstraction lyrique et l’expressionnisme abstrait. Ces allers-retours apportent une richesse aussi longtemps que l’artiste trouve un chemin singulier et évite le confort du juste milieu. L’exposition de l’Hôtel de Caumont, avec un accrochage exemplaire, présente les différentes étapes de ce parcours sinueux de 1935 à 2009.

Né à Pékin en 1920, Zao Wou-Ki commence son apprentissage à quinze ans à l’Académie des beaux-arts de Hangzhou. Si l’enseignement de base y reste traditionnel et inclut la théorie et la pratique de la calligraphie, l’artiste fait appel rapidement à la peinture à l’huile. Partant de reproductions sur des cartes postales ou dans des revues, il s’inspire clairement de l’avant-garde européenne, et avant tout de Paul Cézanne (Nature morte aux pommes, 1935-1936).

Après une première partie consacrée à ses débuts en Chine, le visiteur découvre les œuvres réalisées à son arrivée en France en 1948. Paradoxalement, on retiendra de ses premières années parisiennes les aquarelles faites sur des carnets pendant ses voyages, essentiellement en Suisse. Suisse ou plutôt Berne où Zao Wou-Ki fait la découverte de Paul Klee. On pourrait même parler d’une révélation tant ce dernier a un impact déterminant sur le style du peintre chinois. Ainsi, Une Ville engloutie (1955) est une toile où, sur un fond bleu nuit, des hiéroglyphes isolés et insaisissables dans leur légèreté apparaissent comme des ponctuations. Ces signes offrent des affinités avec l’écriture chinoise mais, en dernière instance, cette calligraphie secrète et fantasque invente des formes inconnues et suggestives, des condensés d’une poésie personnelle et universelle.

Zao Wou-Ki, Ville engloutie, 1955, huile sur toile, 89 x 146 cm, collection particulière. © Adagp, Paris, 2021/Photo Antoine Mercier

« Une fureur contrôlée »

Après ces travaux intimistes, le changement que l’on constate avec la section intitulée « Un nouveau territoire » est radical. Le territoire en question est celui des États-Unis où Zao Wou-Ki fait de nombreux séjours et où son œuvre est exposée régulièrement par une galerie new-yorkaise. La rencontre avec les artistes américains – on songe surtout à Franz Kline ou à Robert Motherwell – donne lieu à de grands formats et à une peinture d’un geste nettement plus violent. Les commissaires, Yann Hendgen et Erik Verhagen, parlent d’« une fureur contrôlée ». Ce bel oxymore est à double tranchant, car si ces œuvres dégagent une importante énergie, cette gestualité exaltée semble – trop ? – parfaitement maîtrisée. Entre spontanéité et contrôle, 06.10.1971 ou 13.09.1973 – à partir de la fin des années 1950, les dates d’achèvement des tableaux deviennent les titres –, l’artiste cherche une impossible synthèse.

Ailleurs, dans des toiles où les traces noires qui jaillissent se veulent moins sauvages, plus ancrées dans le sol, plus organiques en quelque sorte, l’équilibre entre les forces telluriques et la sérénité est réussi – voir le magnifique Triptyque juillet octobre 1997-janvier 1998. D’autres toiles construites à partir de formes circulaires, qui font penser aux décors baroques, engendrent un mouvement rotatif.

Zao Wou-Ki, Triptyque juillet-octobre97-janvier 98, 1997-1998, huile sur toile, 200 x 486 cm, collection particulière. © Adagp, Paris, 2021/Photo Naomi Wenger

Vers une épure picturale

Au début des années 1970, encouragé par son ami Henri Michaux, Zao Wou-Ki retrouve le plaisir de l’encre de Chine. Les dessins placés dans les dernières salles sont exceptionnels : tantôt d’un graphisme épuré qui fait songer à Alberto Giacometti, un ami proche, tantôt des taches flottantes, formes molles qui s’étirent, qui ont renoncé à toute prétention à la ressemblance.

Une œuvre résume, à elle seule, le trajet particulier de l’artiste : Hommage à Matisse (1986). À la différence de la nature morte dédiée à Cézanne, travail de jeunesse encore un peu maladroit, cette version du tableau emblématique de Matisse, La Porte-fenêtre à Collioure (1914) est magistrale. Face à l’affirmation chromatique hardie du peintre fauve, c’est une symphonie lumineuse de couleurs qui se caressent. Autrement dit, grâce à la finesse de la pâte colorée, proche de l’aquarelle, la porte-fenêtre cède la place à un rideau vibrant.

Hommage à Henri Matisse – 02.02.86, huile sur toile, 1986, 162 x 130 cm. (Musée d’art moderne, Paris, don de Françoise Marquet-Zao/Adagp, Paris, 2021/Dennis Bouchard)