媒体评论 16.04.24
Connaissance des Arts, « Normandie impressionniste : une plongée dans les paysages intimes de Zao Wou-Ki » by Bérénice Geoffroy-Schneiter
Dans le bel écrin des Franciscaines de Deauville, une magistrale exposition restitue l’intense spiritualité qui se dégage de l’œuvre protéiforme du peintre français d’origine chinoise Zao Wou-Ki. Tout n’est ici que souffle, audace et légèreté…
Comment renouveler le regard porté sur l’immense peintre que fut Zao Wou-Ki (1920-2013) sans tomber dans l’hommage officiel ou la redite ? C’est le défi que relève avec brio l’exposition que lui consacrent les Franciscaines de Deauville, en résonance avec le Festival Normandie impressionniste. Recentré pour plus de cohérence sur les années 1980-2010, le parcours épouse ainsi les méandres d’une déambulation poétique scandée de citations du peintre, qui sont autant de respirations de son âme, de pulsations intimes de son cœur. Il est vrai que derrière chaque exposition dédiée à l’artiste, l’on devine aussi la présence silencieuse de Françoise Marquet-Zao, son épouse, qui veille amoureusement sur les destinées de son œuvre à travers sa Fondation, créée en 2012.
Transparence et fluidité
Loin de sacrifier à une présentation chronologique ou thématique, le parcours dessiné par Gilles Chazal, le commissaire, est donc une merveille de fluidité qui ne craint pas d’abattre les cloisons entre les différentes disciplines expérimentées par l’artiste : peinture, gravure, encre, céramique, art du livre, et même tapisserie !
Emporté par la muséographie lumineuse et ouverte signée Flavio Bonuccelli, le visiteur se trouve ainsi immergé dans les compositions oniriques et célestes de Zao Wou-Ki, paysages intérieurs zébrés d’écritures mystérieuses, comme échappées de quelque bronze archaïque chinois. Occupant le foyer central, l’ample triptyque intitulé Hommage à Claude Monet (1991, collection particulière) n’en trahit pas moins l’immense admiration que Zao Wou-Ki nourrissait envers le maître des nymphéas, partageant avec lui cette transcription d’une nature aux franges du réel et de l’abstraction.
Semble lui faire écho le somptueux diptyque nimbé de rose tendre et de vert émeraude dont le titre Il ne fait jamais nuit rappelle combien l’artiste ne dissociait guère la peinture de la poésie qui, dans la Chine traditionnelle, sont toutes deux filles du pinceau…
Les noces du vide et du plein
Le regard du visiteur se déplace alors vers ces encres majestueuses qui célèbrent, elles aussi, les noces du vide et du plein et exaltent ce souffle primordial qui sous-tend toute création dans l’Empire du Milieu.
On sait que l’artiste relégua au rang de « chinoiserie » cette pratique ancestrale lors de son arrivée en France, en 1948. Et pourtant, une vingtaine d’années plus tard, lorsque la maladie de sa seconde épouse Chan May-Kam le détournera de la pratique trop contraignante de la peinture à l’huile, Zao Wou-Ki renouera avec ce jeu de l’encre noire jetée sur le vide du papier blanc. Grand admirateur de son œuvre, l’écrivain Henri Michaux l’encouragera à poursuivre dans cette voie, passerelle jetée entre ses deux cultures, et prétexte à d’impulsifs jaillissements créateurs…
Arpenter de nouveaux territoires
Car plus que tout autre sentiment, c’est une impression d’audace folle et de légèreté qui se dégage de toute l’œuvre de Zao Wou-Ki, qui arpentera avec le même bonheur de nouveaux territoires comme la porcelaine ou la tapisserie. Souvent reléguées à tort comme des expériences annexes, les collaborations que l’artiste noua avec la Manufacture de Sèvres ou la Manufacture des Gobelins nous rappellent en effet combien les hiérarchies établies en Occident entre les arts sont, en Asie, un non-sens absolu.
Ainsi, l’une des plus belles surprises de cette exposition est, sans nul doute, offerte par le spectacle de cette immense tapisserie de 1982 transcrivant dans la laine la délicatesse des motifs imaginés par le peintre. « Merci pour ce magnifique travail, ce savoir-faire perpétué avec autant de compétences et d’émotion », écrira l’artiste dans une note adressée aux artisans des Gobelins. Et que dire de ces vases en porcelaine dont les flancs se métamorphosent en plages blanches et translucides prêtes à accueillir les traits de pinceau elliptiques du peintre ?
Autres merveilles, les recueils de poèmes illustrés par Zao Wou-Ki reflètent sa culture de lettré en même temps qu’ils scellent pour l’Éternité les liens que l’artiste tissa avec les plus grands écrivains de son temps, d’Henri Michaux à Yves Bonnefoy.
« Inventer la légèreté »
Le parcours s’achève en apothéose avec cette série d’aquarelles aériennes que Zao Wou-Ki réalisera à partir de 2006 jusqu’à sa mort, comme délesté des contraintes imposées par la peinture à l’huile. « En pleine maturité de son incessante quête, sous la magie de ses pinceaux, jaillit un éblouissant sens de la respiration spatiale. Quelques simples traits donnent vie à une fête colorée imprégnée de dynamisme et d’énergie vitale », analyse ainsi Martine Chazal dans le beau catalogue qui accompagne l’exposition.
Aux antipodes du dialogue métaphysique entre le noir et le blanc, les audaces chromatiques sont alors souveraines, prétextes à de jubilatoires fulgurances qui résonnent comme autant d’odes à la joie et à la vie. « Oser de nouvelles couleurs, faire naître de nouveaux espaces, inventer la légèreté », tel est alors le credo du peintre au crépuscule de son riche et fécond cheminement…