Presse 28.07.23
Connaissance des Arts, « Les gravures vagabondes de Zao Wou-Ki » par Bérénice Geoffroy-Schneiter
À la faveur de la donation par Françoise Marquet, l’épouse de l’artiste, de 353 estampes et 27 ouvrages de bibliophilie, le musée de l’Hospice Saint-Roch d’Issoudun dévoile les trésors insoupçonnés et oniriques de l’œuvre gravé et imprimé de Zao Wou-Ki. Un voyage en apesanteur…
Une donation exceptionnelle
On ne pouvait en effet rêver meilleur compagnonnage que cette présence des gravures de Zao Wou-Ki auprès de celles d’artistes pour lesquels les expérimentations couchées sur le papier n’étaient, en rien, une pratique subalterne. « Son exigence était aussi pointue dans sa pratique de l’estampe que dans celle de la peinture. Quand on voit une planche, on n’imagine pas tout ce travail. Sa gamme colorée est extrêmement variée d’une œuvre à une autre, d’une époque à une autre », explique ainsi Sophie Cazé qui signe, aux côtés de Patrice Moreau, le commissariat de l’exposition « Zao Wou-Ki. Plage de papier. L’œuvre gravé et imprimé (1949-2008) » (présentée jusqu’au 30 décembre à Issoudun).
Un travail d’exigence
Nul autre que Zao Wou-Ki, lui-même, n’a mieux décrit sa première rencontre avec la gravure, un an à peine après son arrivée à Paris en avril 1948 : « Qui m’a parlé de faire de la lithographie à l’atelier Desjobert ? je ne m’en souviens plus. Peut-être ai-je entendu ce nom à la Grande Chaumière ou chez Nina Dausset. Au début de 1949, alors que je n’avais pas encore décidé de me mettre à la peinture à l’huile, je suis allé dans cet atelier de lithographie. L’idée de jeter de la couleur sur une grande pierre blanche poreuse, comme sur du papier de Chine, me plaisait. J’ai dû le faire avec des moyens limités car le tirage des épreuves coûtait relativement cher. J’ai réalisé huit lithographies avec trois couleurs, c’est-à-dire trois passages », raconte ainsi le peintre d’origine chinoise dans son Autoportrait coécrit avec son épouse Françoise, et que viennent de republier fort à propos les Éditions Pluriel (2022). On connaît la suite… Ébloui par ces fulgurances chromatiques et l’intense poésie qui s’en dégage, l’écrivain Henri Michaux écrira des textes inspirés qui scelleront définitivement la complicité amicale, artistique et intellectuelle entre les deux hommes.
Zao Wou-Kin Lecture par Henri Michaux de huit lithographies de Zao Wou-Ki, 1950, livre illustré, ex. 28/65, lithographie sur papier vélin, imprimeur E. et J. Desjobert, Paris, éditeur Euros et Robert J. Godet, collection MHSR-Issoudun, Donation Françoise Marquet-Zao 2022 ©Photo. A. Ricci ©Adagp, Paris 2023
Si le public connaît davantage ses grandes toiles abstraites et lyriques, ou ses encres jouant à merveille sur les vides et les pleins, il ignore bien souvent combien la pratique de l’estampe engendra, chez Zao Wou-Ki, des chefs-d’œuvre absolus, d’une maîtrise parfaite. Et c’est tout le mérite de cette exposition que de dérouler, à la manière d’un grand rouleau de peinture chinoise, le parcours linéaire d’un artiste s’essayant à cet art du papier avec rigueur et modestie. « Zao Wou-Ki a pleinement participé à l’épanouissement de l’estampe dans les années 1950 à 1970. Il s’y employait sérieusement. Il a fait des affiches, des estampes pour des revues ou de l’édition. Il a assumé son rôle d’artiste et il s’est soumis à la commande. Je trouve cela magnifique de la part d’un grand artiste », s’enthousiasme ainsi Sophie Cazé.
Moments de « pure grâce »
Il faut donc vagabonder en toute liberté dans cette exposition pour s’offrir des moments de « pure grâce ». Si les premières lithographies de Zao Wou-Ki ont des allures de contes de fées ou de paradis perdu et oscillent entre influence chinoise et hommage à Paul Klee, celles réalisées entre 1956 et 1967 offrent à l’artiste un champ d’expérimentation formel d’une audace inouïe. En témoignent, présentées côte à côte, les deux versions en peinture et en estampe de Ville engloutie (1956). Délaissant la figuration pour lui préférer la dissolution des formes, Zao Wou-Ki signe ici une œuvre onirique, avant d’être abstraite.
Vue de l’exposition « Zao Wou-Ki. Plage de papier. L’œuvre gravé et imprimé (1949-2008) », présentée jusqu’au 30 décembre musée de l’Hospice Saint-Roch d’Issoudun. ©Musée de l’Hospice Saint-Roch d’Issoudun
En 1971, sur les conseils de son ami Henri Michaux, l’artiste renoue alors avec les possibilités infinies de l’encre de Chine et la manière asymétrique chère à la peinture chinoise. En résulteront des « paysages mentaux », selon les mots mêmes de l’artiste, qui influenceront considérablement ses planches réalisées pour les livres. Car s’il est une redécouverte offerte par cette exposition, c’est bien l’ampleur des collaborations que Zao Wou-Ki tissa avec les poètes et les écrivains. De René Char à Léopold Sédar Senghor, en passant par Claude Roy, les rencontres artistiques seront fécondes et donneront naissance à des œuvres d’art totales. Il est vrai que dans la Chine ancestrale dessiner et écrire ne font qu’un, et que les lettrés cultivaient avec la même exigence et le même bonheur les arts de la poésie et de la peinture…
« Zao Wou-Ki. Plage de papier. L’œuvre gravé et imprimé (1949-2008) »
Musée de l’Hospice Saint-Roch, Rue de l’Hospice Saint-Roch, Issoudun
Jusqu’au 30 décembre 2023