Presse 07.04.21
En revenant de l’expo !, « Zao Wou-Ki – Il ne fait jamais nuit à l’Hôtel de Caumont – Aix en Provence »
Jusqu’au 10 octobre 2021, l’Hôtel de Caumont présente « Il ne fait jamais nuit » une exposition de Zao Wou-Ki qui s’affirme comme un des événements majeurs de la saison estivale à Aix-en-Provence et dans la région.
Réalisée en collaboration avec la Fondation Zao Wou-Ki, « Il ne fait jamais nuit » rassemble 90 œuvres (huiles sur toile, aquarelles et encres de Chine sur papier) produites entre 1935 et 2009.
Il faut souligner la réussite de ce projet dont l’ambition annoncée était de « mettre au jour un des grands thèmes de création de l’artiste : inventer de nouveaux espaces picturaux construits à partir de son travail sur la couleur et la représentation de la lumière. Lumière et espace sont en effet indissociables dans son œuvre et permettent de comprendre son objectif récurrent de “donner à voir” ce qui ne se voit pas et qui l’habite, “l’espace du dedans” ».
On a la plaisir d’y découvrir pour la première fois une série d’aquarelles, peintes sur le motif, lors de séjours dans le Lubéron à partir de 2004.
Zao Wou-Ki. Il ne fait jamais nuit
Carnets de voyage
Voir le monde autrement
Une fureur contenue
Sous de nouveaux soleils
Le bonheur de peindre
La chine retrouvée
Aquarelles sur le motif
Empêcher la nuit de tomber
Le commissariat est assuré conjointement par :
– Erik Verhagen, historien de l’art. Collaborateur régulier d’Art Press, il a été co-commissaire de l’exposition Zao Wou-Ki au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2018-2019 et commissaire des expositions présentées par la galerie Kamel Mennour à Paris et Londres en 2019.
– Yann Hendgen, directeur artistique de la Fondation Zao Wou-Ki.
L’accrochage particulièrement réussi bénéficie d’une exceptionnelle mise en lumière signée par Vyara Stefanova avec Transpalux. Les textes de salle offrent aux visiteurs les repères nécessaires et plusieurs cartels développés accompagnent les œuvres majeures.
La scénographie sobre et élégante est conçue par Hubert le Gall à qui l’on doit la mise en scène de nombreuses expositions à l’Hôtel de Caumont. Il était assisté de Laurie Cousseau et Nina Lejeune. Les travaux ont été réalisés par Culbuto. Le graphisme a été confié à Jean-Paul Camargo (Camargo A & D).
Dans sa préface au catalogue (publié par In Fine éditions d’art), Bruno Monnier, Président de Culturespaces, souligne le rôle important joué par Guy Boyer, à l’origine de ce projet. On se souvient des initiatives du directeur de la rédaction de Connaissance des Arts dans « Passion de l’art, galerie Jeanne Bucher Jaeger depuis 1925 » que le Musée Granet avait présenté en 2017.
Nombreux sont ceux qui conserve le souvenir de « La quête du silence », une remarquable rétrospectiveque le Musée Fabre avait présenté en 2004 au Pavillon Populaire de Montpellier lors de sa rénovation. C’était la dernière exposition importante consacrée à Zao Wou-Ki dans le Midi.
Faut-il ajouter qu’un passage par l’Hôtel de Caumont s’impose et qu’« Il ne fait jamais nuit » est une exposition incontournable ?
À lire, ci-dessous, le texte de présentation du projet, les textes d’introduction des neuf séquences du parcours de l’exposition et quelques repères biographiques à propos de l’artiste.
En savoir plus :
Sur le site de l’Hôtel de Caumont – Centre d’Art
Suivre l’actualité de l’Hôtel de Caumont sur Facebook et Instagram
Sur le site de la Fondation Zao Wou-Ki
Zao Wou-Ki – « Il ne fait jamais nuit » : Présentation
Dans la période qui suit son installation à Paris en 1948, Zao Wou-Ki explore le thème de la lumière diurne ou nocturne dans une série d’œuvres poétiques intégrant simplement la représentation des astres lunaire et solaire.
Le passage à l’abstraction opéré au milieu des années 1950 par l’usage du signe emprunté à Paul Klee, enrichit son rapport à la lumière et à l’obscurité, exprimées alors par le jeu des masses colorées, qui s’affrontent ou fusionnent.
La pratique de l’encre de Chine, grâce à Henri Michaux à partir de 1970, lui permet de faire évoluer la tradition chinoise. Il entame alors un travail sur le vide, associé au blanc ou à la réserve, et le plein, associé au noir de l’encre. Cette recherche se prolonge dans sa peinture et lui fait découvrir de nouveaux espaces.
Les œuvres des années 1970 et 1980 renvoient à une face plus sombre, correspondant à des périodes de souffrances et de deuil. Ces va-et-vient entre lumière et part d’ombre puisent leur inspiration dans la longue histoire de la peinture chinoise qui recherche l’équilibre des contraires.
Guidé à ses débuts et jusqu’à la fin de sa vie par le génie de Paul Cézanne (Paysage Hangzhou, 1946 ; Hommage à Cézanne, 2005), Zao Wou-Ki a lui aussi été sensible à la lumière spécifique du soleil du midi de la France. Après avoir loué entre 1958 et 1972 un atelier dans le Var où il retrouvait nombre d’amis, l’architecte Josep Lluís Sert lui construit un atelier à Ibiza en 1973, qui sera un nouveau lieu de création.
À partir de 2004, Zao Wou-Ki séjourne à plusieurs reprises en été dans la propriété du Luberon du couturier Emanuel Ungaro, très attaché par ailleurs à sa ville natale d’Aix-en-Provence. Zao Wou-Ki y travaille « sur le motif », fait nouveau pour lui, et peint une série d’aquarelles qui seront présentées pour la première fois à l’Hôtel de Caumont. Elles rendent compte de la luminosité et des couleurs tantôt flamboyantes tantôt assourdies des paysages du Luberon. Ces œuvres expriment à l’ultime moment de sa vie son bonheur de peindre immuable.
Zao Wou-Ki – « Il ne fait jamais nuit » : Parcours de l’exposition
Zao Wou-Ki. Il ne fait jamais nuit
Fasciné dès son plus jeune âge par « la légèreté de la lumière ou son épaisseur », le jeune ZaoWou-Ki est sans doute loin d’imaginer à quel point l’élément lumineux jouera un rôle déterminant dans sa trajectoire à venir.
Au cours de sa carrière qui, de sa Chine natale, l’amène à Paris dès 1948, la lumière, observée au quotidien, emmagasinée pendant ses voyages ou intériorisée, ne cessera de se rappeler à son souvenir et de s’inviter dans son cheminement pictural, quelles que soient les périodes ou les techniques privilégiées.
En 1955, Zao Wou-Ki est à la croisée des chemins. On perçoit encore les signes dérivés des caractères chinois archaïques qui lui ont permis de s’éloigner de la figuration. Mais ils sont aux prises avec des masses colorées qui semblent morceler leur territoire et tenter de prendre leur place. Il y a surtout cette grande nappe bleue qui encadre le tableau et semble vouloir l’engloutir. Zao Wou-Ki donne la clé de ce tableau dans son Autoportrait publié en 1988. Quand il peint ce tableau, le couple qu’il forme avec Lalan depuis 1941 ne fonctionne plus. Elle le quittera en 1956. Ce tableau « porte en lui cette même impression de mort, l’engloutissement de mes sentiments dans une certaine douleur ».
Pendant plusieurs décennies, la lumière a incarné, pour s’en tenir au processus de création, son principal rapport à un environnement extérieur, l’atelier parisien du peintre, dépourvu de fenêtre et jouissant d’une ouverture zénithale, l’ayant continuellement coupé du monde.
S’imprégner de la lumière, la retraduire et la faire resurgir à travers un spectre chromatique incessamment renouvelé, conjuguer les pleins et les vides, les entrelacs de l’encre ou de l’aquarelle avec le blanc du papier : tels sont les credos à partir desquels Zao Wou-Ki a échafaudé son œuvre.
La nature morte aux pommes très cézanienne reflète, à des milliers de kilomètres de distance, l’influence du maître d’Aix sur le jeune peintre chinois de quinze ans. Soixante-dix années de peinture, de travail acharné, d’influences, de recherches séparent cette œuvre du grand diptyque Il ne fait jamais nuit de 2005. Exposées ensemble, ces deux œuvre montrent le chemin parcouru par l’artiste et l’évolution de son travail sur la lumière.
Une existence entière dédiée à la peinture :
« Je peins ma propre vie mais je cherche aussi à peindre un espace invisible, celui du rêve, d’un lieu où l’on se sent toujours en harmonie, même dans des formes agitées de forces contraires ».
Carnets de voyage
À l’instar de l’élite européenne aux XVIIIe et XIXe siècles, Zao Wou-Ki réalise son Grand Tour à partir de 1950 : Suisse, Italie, Espagne, Angleterre, Autriche, Pays-Bas, Belgique.
Avide de découvertes, il visite musées et monuments, s’imprégnant de traditions nouvelles qu’il cherche à comprendre. Comme tant de peintres avant lui, il consigne dans ses carnets de voyage des paysages, des monuments célèbres, des vues de ports ou de villes, qui lui serviront, dans le secret de l’atelier, de réserves de motifs.
Durant l’été 1950, il accompagne son ami peintre Johnny Friedlaender dans les Alpes savoyardes. Zao Wou-Ki peint dans deux carnets une série d’aquarelles sur le vif. Ces paysages montagneux lui rappellent certaines vues de Chine. Tantôt saturées, tantôt très épurées, ces aquarelles témoignent du souci du motif mais également de sa traduction dans une veine presque abstraite qui anticipe l’influence de Paul Klee sur son œuvre.
© Adagp, Paris, 2021, photo: Antoine Mercier
Dans ses carnets, comme dans d’autres œuvres de la même période, on constate l’importance des motifs du soleil et de la lune. Ces symboles astraux, diffuseurs naturels de lumière, prennent une valeur symbolique et archétypale. Ils permettent également à l’artiste de travailler les effets de lumière et d’ombre d’une manière poétique.
Voir le monde autrement
Quelques années après son installation à Paris, Zao Wou-Ki, suivant l’exemple de Paul Klee, intègre dans ses œuvres des signes inventés, basés sur les caractères chinois archaïques. Il ne veut plus être prisonnier du motif et songe à peindre autrement. Vent, en décembre 1954, est considéré comme son premier tableau abstrait.
Dès 1958, les signes se changent en masses colorées. Leurs rapports, le traitement de la lumière et de l’obscurité, construisent et structurent désormais ses peintures. Son voyage à New York durant l’automne 1957 et la découverte de l’expressionnisme abstrait le confortent dans ce choix. Les années 1960 sont une période d’intense création. Zao Wou-Ki libère son mouvement. Il explose ou concentre ses compositions, fait jouer des rapports de couleurs ou rivalise de douceur dans des demi-teintes monochromes. La lumière du nord de l’atelier lui permet d’apprécier les effets de couleurs sans que le soleil ne les modifie.
À partir du début des années 1970, la reprise de la technique de l’encre de Chine, sur les conseils de son ami Henri Michaux, modifie encore sa technique : de grandes compositions rougeoyantes sont ainsi zébrées de grandes traînées noires. L’artiste fusionne la gestuelle de l’école américaine et la liberté du pinceau chinois. La redécouverte de cette technique joue alors un rôle dans sa manière de repenser les pleins et les vides, ouvrant ainsi sa peinture à des scénarios inédits.
Dans cette salle sont exposés 06.10.71 et 13.09.73 qui montrent un travail similaire sur la lumière dans un espace dramatique, sous l’influence du retour de l’encre de Chine. Restées aux mains de l’artiste, elles ont toutes deux été achetées par des musées français audacieux à l’issue des expositions qu’ils ont consacrées à l’artiste, la première en 1983 par le musée Bertrand de Châteauroux, la seconde en 1984 par le musée Ingres de Montauban. Les voici à nouveau réunies après trente-huit années de séparation.
Une fureur contenue
Les œuvres des années 1960 se caractérisaient par une facture convulsive et enragée mais paradoxalement contrôlée, un éventail de couleurs se déployant à travers des effets vibratoires.
Cette tension contenue se retrouve aussi dans ses peintures du premier tiers des années 1970. Reposant aussi, à cette époque, sur des ressorts autobiographiques, elle traduit sur la toile les états d’âme d’un artiste confronté à la maladie de son épouse.
Une tension encore différente caractérise les œuvres de Zao Wou-Ki par la suite. Exprimant l’enchevêtrement de sentiments situés aux « extrêmes », elle amène l’artiste vers un apaisement progressif, lui permettant enfin d’envisager l’avenir avec plus de sérénité et de félicité. L’élément lumineux accompagne ce cheminement, rejaillissant ici et là avant de s’imposer dans toute sa splendeur vers la moitié de la décennie.
Sous de nouveaux soleils
Suite au décès de son épouse May, Zao Wou-Ki retourne en Chine en mars 1972 et retrouve sa famille pour la première fois depuis 1948. Il est alors prêt à renouer avec ses racines. Sa peinture se dilue, le vide occupe une place prépondérante en complément des pleins, traversé par le « souffle » qui sous-tend toutes créations. 01.04.81 concrétise cette nouvelle manière de concevoir l’espace.
Les années 1980 annoncent en effet une période d’apaisement et de sérénité nouvelle. Zao Wou-Ki dispose de nouveaux ateliers qui lui permettent de modifier encore sa manière de peindre. Il entretient de multiples amitiés avec des architectes, comme le catalan Josep Lluís Sert, principalement connu en France pour sa Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence et concepteur d’espaces en lien avec Picasso, Chagall ou Miró. Josep Lluís Sert réalise les plans de la maison et de l’atelier de Zao Wou-Ki à Ibiza entre 1965 et 1971, construits en deux temps, en 1973 et à titre posthume dans les années 1980. Cette maison-atelier permet à Zao Wou-Ki d’intégrer la force de la lumière et la saturation des couleurs de la Méditerranée dans des œuvres aux dominantes de bleus outremer, turquoise ou profondément solaires, comme l’Hommage à José-Luis Sert – 14.07.88.
Cette œuvre, réalisée cinq ans après le décès de l’architecte, fait partie des nombreux hommages rendus par l’artiste à ses compagnons de route. L’œuvre est, compte tenu du rôle qu’elle a joué pour l’un et pour l’autre, imprégnée d’une lumière méditerranéenne.
Le bonheur de peindre
Dans les œuvres de sa maturité, Zao Wou-Ki s’affranchit des règles et repousse encore les limites de ses peintures. Un vent de liberté souffle sur ses créations. Son nouvel atelier installé dans la grange de sa maison de campagne du Loiret lui permet de peindre de grands formats. Le triptyque de 1997-1998 repousse les limites du cadre et de l’espace peint. La forte dramaturgie des couleurs saturées et des effets de lumière, ainsi que la tension de la composition expriment cette joie de peindre dans le secret de l’atelier, face à la toile.
Fidèle à la tradition chinoise, l’artiste rend hommage aux peintres qui ont guidé son parcours. Il donne en 1986 une magistrale interprétation de la fameuse Porte-fenêtre à Collioure peinte par Henri Matisse en 1914, qu’il qualifie de « peinture magique (…), une porte ouverte sur la vraie peinture ».
Inspiré de la Porte-fenêtre à Collioure (1914), ce tableau est le premier des deux hommages rendus à Henri Matisse dans les années 1980 et 90. Pour Zao Wou-Ki, cette œuvre de son prédécesseur témoigne d’une magie. « Car, note-t-il, devant cette porte, vide et pleine en même temps, il y a la vie, la poussière, l’air qu’on respire, mais derrière que se passe-t-il ? C’est un espace noir, immense. Pour nous tous, c’est une porte ouverte sur la vraie peinture ». Cette ouverture sur la peinture, Zao Wou-Ki a voulu à son tour en proposer une variation en puisant dans sa propre conception du vide et du plein.
Joseph Mallord William Turner occupe une place privilégiée au sein du panthéon d’artistes préfigurant l’abstraction occidentale. Il est notamment réputé pour ses représentations d’une lumière solaire saisie tantôt dans une immédiateté irradiante tantôt retranscrite à travers le filtre de paysages embrumés. C’est sans doute à cette seconde option qu’a pensé Zao Wou-Ki en décidant rétrospectivement, autour de 1996, de baptiser ce tableau, conçu l’année du bicentenaire de la naissance du peintre anglais, Hommage à Turner. Notons enfin que cette option « brumeuse » dans sa « recherche de l’appropriation de l’espace et de la lumière » n’est pas sans évoquer la peinture chinoise.
La chine retrouvée
Si l’on trouve dès les années 1950, des traces de rares encres sur papier, principalement conjuguées à de l’aquarelle, ce n’est que dans les années 1970, encouragé par son compagnon de route le poète Henri Michaux, puis surtout à partir de 1980, que Zao Wou-Ki se consacre à cette technique. L’artiste l’a longtemps tenue à distance en raison de sa « dimension chinoise ».
La rapidité de l’exécution, sa souplesse et les possibilités offertes au peintre d’articuler les rapports entre vides et pleins, blancs et noirs, liquide et support, l’incitent à entreprendre de nombreuses réalisations. Ces dernières ont une place privilégiée au sein de son œuvre de ses dernières décennies. L’encre sur papier lui confère plus de liberté et une forme de lucidité. Elle lui permet aussi de se montrer plus économe dans ses gestes et d’aller droit à l’essentiel.
À la croisée de sa trajectoire abstraite, amorcée suite à sa migration en France, et de son héritage chinois, cette technique coïncide enfin avec une période de maturité et d’apaisement. Zao Wou-Ki assume désormais ses origines et sait les faire fructifier au contact d’une abstraction développée depuis la deuxième moitié des années 1950. Le traitement de la lumière s’en trouve renforcé et complexifié, le blanc du support et le noir de l’encre concourant dans une optique à la fois occidentale et orientale.
Aquarelles sur le motif
Zao Wou-Ki nous confronte à un virage surprenant en se consacrant à partir de 2007 à des séries d’aquarelles peintes à l’extérieur et sur le motif. Ce virage est d’autant plus singulier que le peintre avait pour coutume de travailler, pour s’en tenir à son atelier parisien, dans des pièces fermées, coupées de tout environnement végétal. Sans doute, le grand âge venant, a-t-il ressenti le besoin de réinstaurer un rapport plus immédiat au monde et aux éléments et de renouer avec l’observation minutieuse de la nature qui avait scellé durant son adolescence son destin de peintre.
Ces sensations, Zao Wou-Ki a voulu les retrouver en se mesurant à des sites familiers, comme les paysages d’Ibiza, de Saint-Tropez ou du Loiret, ou découverts au gré de voyages plus ponctuels.
C’est à l’occasion de l’un de ces derniers qu’est née la série d’aquarelles produites à partir de la végétation trouée de lumières du domaine La Cavalerie de son ami Emanuel Ungaro, où le peintre aimait se ressourcer au soir de sa vie. Tout concourt à faire de cette famille de travaux sur papier le chant du cygne d’un artiste qui a su non seulement se renouveler à un stade ultime de sa trajectoire mais aussi déjouer les attentes d’un public enclin à le cantonner dans une case abstraite.
Empêcher la nuit de tomber
Dans les années 2000, Zao Wou-Ki se lance dans une intense activité d’hommages. A des proches et compagnons de route – Henri Michaux en 2000, Françoise Marquet en 2003 ou Jean Leymarie en 2006 – auxquels s’ajoute le peintre Jean-Paul Riopelle. Dans l’hommage rendu à ce dernier en 2003, l’artiste s’est inspiré de deux érables canadiens offerts par son ami et plantés dans ses jardins de Paris et du Loiret. Ces sources anticipent dès lors le retour à la nature ayant marqué les ultimes années de sa création.
Son hommage à Paul Cézanne de 2005 laisse ainsi transparaître l’une des variations du peintre provençal autour de la montagne Sainte-Victoire, 70 ans après avoir peint une nature morte traduisant l’influence de Cézanne sur son œuvre. Que cette suprême déclaration de respect à un peintre soit dédiée à celui-ci en particulier n’est pas un hasard tant il a joué un rôle majeur dans sa trajectoire.
« C’est Cézanne qui m’aida à me trouver moi-même, à me retrouver peintre chinois » affirma Zao Wou-Ki une fois la maturité atteinte. Quelques mois avant de lui rendre hommage, l’artiste peint le diptyque Il ne fait jamais nuit (exposé dans la première salle de l’exposition). Ce titre est emprunté à l’écrivaine Florence Delay, qui a aussi souligné, à propos du tableau Ciel de 2004, sa division « entre forces nocturnes et forces diurnes empêchant la nuit de tomber ». Soit un parfait condensé de ce qui se trame dans les œuvres crépusculaires de l’artiste.
Zao Wou-Ki : biographie
1920 : Naissance de Zao Wou-Ki à Pékin. Installation de la famille T’chao, qui remonte à la dynastie
Song (Xe-XIIe siècles), à Shanghai six mois après sa naissance. Leur nom de famille sera romanisé en Zao à l’arrivée de l’artiste à Paris.
1920-1931 : Il grandit dans une famille d’intellectuels où la peinture est à l’honneur. Apprentissage de la calligraphie avec son grand-père.
1935 : Il réussit à quinze ans l’examen d’entrée à l’École des beaux-arts de Hangzhou où des professeurs chinois et occidentaux proposent un enseignement classique fondé sur la reproduction du réel (dessin d’après un plâtre et modèle vivant, peinture traditionnelle chinoise, calligraphie). Il s’en affranchit très tôt pour commencer la peinture à l’huile.
1937 : Face à l’avancée des troupes japonaises, il quitte l’école des beaux-arts pour plusieurs années éprouvantes de voyage et d’errance vers la Chine centrale, avant de s’installer en 1942 à Chongqing, capitale temporaire de la République de Chine.
1941 : Il est nommé professeur assistant de peinture dans son école des beaux-arts à la fin de ses
études. En juin, il épouse Xie Jinglan (Lalan) à Hong Kong.
1946 : Il est professeur à Hangzhou jusqu’à la fin de 1947.
En juin, à « l’Exposition de peintures chinoises contemporaines » au musée Cernuschi à Paris, Vadime Elisseeff présente dix peintures et sept dessins de Zao Wou-Ki. Il encourage vivement Zao Wou-Ki à venir à Paris.
1947 : Exposition personnelle d’adieu au Ta-Hsin Department Store de Shanghai. Zao Wou-Ki décide de poursuivre sa formation artistique à Paris pendant deux ans.
1948 : Départ du couple de Shanghai pour Paris. Visites régulières au musée du Louvre. Il fréquente les cours d’Otton Friesz et dessine de nombreux nus à l’Académie de la Grande Chaumière.
Septembre : première participation au Salon d’automne.
1949 : Ils emménagent dans un petit atelier, rue du Moulin-Vert dans le 14ème arrondissement. Voisin d’Alberto Giacometti pendant près de dix ans, il en devient un ami proche.
Il réalise sa première exposition personnelle à la galerie Creuze et participe au Salon des Tuileries, sur invitation de Jacques Villon. Il se lie au peintre Jean Dubuffet.
Henri Michaux compose huit poèmes pour accompagner ses premières lithographies réalisées chez le célèbre imprimeur Desjobert. De leur rencontre naît une amitié indéfectible.
1950 : Premiers voyages en Europe, dans le village de Saint-Jeoire-en-Faucigny en Savoie et en Suisse avec son ami peintre Johnny Friedlaender.
1951 : Grâce à Henri Michaux, Pierre Loeb visite l’atelier de Zao Wou-Ki et lui propose un contrat.
Ils vont collaborer jusqu’en 1957. À la Galerie Pierre, il devient ami avec Jean-Paul Riopelle, Maria
Helena Vieira da Silva et Árpád Szenes. Il se lie également avec Norman Bluhm et Sam Francis, peintres américains basés à Paris.
Il voyage en Italie où il est profondément marqué par la perspective de la Renaissance.
À Berne, il est fortement marqué par les œuvres de Paul Klee qui vont influencer sa peinture et lui
permettre de réaliser son passage à l’abstraction quelques années plus tard.
1952 : Voyages en Espagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en Angleterre.
Première exposition personnelle américaine, à la Main Street Gallery de Chicago.
1953 : Début de la collaboration avec le galeriste Otto Stangl à Munich.
Décors et costumes de La Perle pour les Ballets de Roland Petit à Paris.
1954 : Voyages en Suisse et en Bretagne.
Rétrospective de son œuvre gravé au Museum of Fine Arts de Cincinnati.
À Paris en 1964, il peint une œuvre monumentale en hommage à son ami compositeur Edgar Varèse.
Vent, tableau considéré comme le basculement dans l’abstraction.
1955 : Dernière exposition à la Galerie Pierre. Arrêt du contrat avec Pierre Loeb suite à la proposition de collaboration de Gildo Caputo et Myriam Prévot, directeurs de la Galerie de France.
Par l’intermédiaire de Jean-Paul Riopelle, il devient ami de l’artiste américaine Joan Mitchell.
En octobre-décembre : 5ème Honorable Mention au Carnegie International à Pittsburgh.
1956 : Séparation avec son épouse Lalan.
Deux expositions de peintures et aquarelles aux Kleemann Galleries à New York.
1957 : Première exposition à la Galerie de France. Il y retrouve ses amis Hans Hartung, Mario Prassinos, Pierre Alechinsky, Alfred Manessier et se lie avec Pierre Soulages.
Il illustre Les Compagnons dans le jardin de René Char dont il devient proche.
En septembre, il quitte Paris et séjourne chez son frère Wou-Wai à Montclair dans le New Jersey durant tout l’automne. Fréquents voyages à New York où il retrouve Colette et Pierre Soulages.
Rencontre avec de nombreux artistes : Franz Kline, Philip Guston, Adolph Gottlieb, William Baziotes, Saul Steinberg, Hans Hoffman, Conrad Marca-Relli et James Brooks.
Il signe en novembre un contrat avec le galeriste Samuel Kootz, avec lequel il travaillera jusqu’à la
fermeture de sa galerie en 1967.
Il poursuit son voyage avec Pierre et Colette Soulages à Washington, Chicago, San Francisco.
1958 : Séjour au Japon avec les Soulages puis séjourne seul pendant plusieurs mois à Hong Kong où il est professeur invité à l’école des beaux-arts du New Asia College. Rencontre l’actrice Chan May-Kan qu’il épouse en juillet à Macao.
Août : retour à Paris en passant par la Thaïlande, la Grèce et l’Italie.
1959 : Février-mars : première exposition à la Kootz Gallery de New York.
Octobre : exposition dans le Pavillon français de la Biennale de Venise.
Il achète à Paris un entrepôt qu’il fait transformer en atelier.
1960-1964 : Nombreuses expositions personnelles : Kootz Gallery à New York, Galerie de France à Paris, Tokyo Gallery à Tokyo, Massachusetts Institute of Technology à Cambridge.
Il illustre en avril 1962 La Tentation de l’Occident d’André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, qui lui permet d’obtenir la nationalité française en 1964.
1965 : Grande rétrospective au Folkwang Museum d’Essen en Allemagne et dernière exposition à la Kootz Gallery à New York.
Il se lie avec le jeune peintre et réalisateur Jean-Michel Meurice qui conçoit un film sur lui.
1970 : Il dirige la section peinture du séminaire d’été de Salzbourg créé par Oskar Kokoschka.
1971 : Sur les conseils d’Henri Michaux, il redécouvre la difficile technique de l’encre de Chine,
abandonnée depuis 1948, qui devient une pratique régulière.
1972 : Décès de son épouse May, malade depuis plusieurs années. Zao Wou-Ki part en Chine pour
retrouver sa famille quittée en 1948.
Novembre : exposition de sculptures de May, de lavis et d’encres de Chine de Zao Wou-Ki à la Galerie de France.
1973-1977 : Après de longs mois de chagrin, il recommence à peindre et entame une série de très
grands formats. Expositions des peintures récentes de grands formats à la Galerie de France à Paris et à la Fuji Television Gallery de Tokyo.
Il épouse Françoise Marquet le 1er juillet 1977 à Paris.
1978-1979 : Il retrouve à Madrid ses amis Joan Mirò, Antoni Tàpies et Eduardo Chillida.
Inauguration à Washington de l’aile Est de la National Gallery conçue par son ami I.M. Pei.
Présentation de sa donation d’estampes et livres illustrés à la Bibliothèque nationale.
1980 : Le manuscrit de René Char Effilage du sac de jute est illustré d’aquarelles de Zao Wou-Ki.
Il devient professeur de peinture murale à l’École nationale supérieure des arts décoratifs.
Exposition à la Pierre Matisse Gallery de New York où Zao Wou-Ki n’a pas exposé depuis quinze ans.
1981-1982 : Il achève deux triptyques pour la présentation d’œuvres aux galeries nationales du Grand Palais à Paris, première exposition dans un musée français, puis dans cinq musées japonais, au Hong Kong Art Center et à la National Museum of Modern Art de Singapour.
1983 : Rétrospectives au musée Ingres de Montauban et à l’Espace des Cordeliers de Châteauroux.
Première exposition dans son pays natal sur invitation du ministère de la Culture chinois, au Musée
national de Pékin et dans son ancienne école à Hangzhou.
1985 : Invités par son ancienne école, Zao Wou-Ki et Françoise donnent des cours pendant un mois.
Claude Hudelo et Pierre Muller réalisent à cette occasion le film Le voyage chinois de Zao Wou-Ki.
Séjour à Singapour pour déterminer avec I.M. Pei l’emplacement d’un exceptionnel triptyque (2,80 x 10 m) pour sa nouvelle réalisation de Raffles City. La décoration du bâtiment sera complétée avec des œuvres d’Ellsworth Kelly et de Kenneth Noland.
1986 : Il réalise l’affiche et la couverture du programme du Festival d’Aix-en-Provence et expose à la Galerie de la Prévôté.
1987-1989 : Expositions à la Fuji Television Gallery à Tokyo, chez Artcurial à Paris et au musée d’Art et d’Histoire de Metz.
1990-1991 : Expositions à la Galerie Jan Krugier de Genève, au musée des beaux-arts de Tours et à la Fondation Vasarely à Aix-en-Provence.
1994 : Illustration de Rompre le Cri de François Cheng.
Rétrospective du Centro Cultural de Arte Contemporáneo de Mexico.
Il reçoit en octobre le Praemium Imperiale du Japon en section Peinture.
1995 : Il reçoit le Prix de Science pour l’Art créé à Paris par la société LVMH.
1996 : Grâce à son ami Manuel Cargaleiro, il prépare un panneau mural en céramique pour la station de métro Oriente à Lisbonne.
1998 : Exposition au musée des Beaux-Arts de Tours.
1998–1999 : Grande rétrospective au Shanghai Museum, au Palais des Beaux-Arts de Chine de Pékin et au Palais des Beaux-Arts du Guangdong à Canton.
2000-2001 : Volet contemporain de la grande exposition « Chine, la gloire des empereurs » au Petit
Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
2002 : Il est élu à l’académie des Beaux-Arts, au fauteuil de Jean Carzou. Il y sera reçu officiellement le 26 novembre 2003.
2003 : Grande rétrospective à la Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris.
2006 : Treize sérigraphies pour le livre de bibliophilie Là-bas de Dominique de Villepin.
Novembre : Zao Wou-Ki est élevé au grade de Grand Officier de l’Ordre de la Légion
d’Honneur et est décoré au Palais de l’Elysée par le président Jacques Chirac.
2007 : Il commence une série d’aquarelles sur le motif.
2010 : Zao Wou-Ki arrête la peinture à l’huile et créé ses dernières aquarelles sur papier.
Création de quatorze vitraux pour le réfectoire du prieuré de Saint-Cosme, près de Tours.
2011 : Installation à Dully en Suisse avec son épouse Françoise.
9 avril 2013 : Zao Wou-Ki s’éteint à l’hôpital de Nyon. Ses obsèques ont lieu selon ses volontés au
cimetière du Montparnasse, à Paris.