Presse 15.05.21
L’Express, « Zao Wou-Ki dans la lumière du Midi » par Letizia Dannery
C’est justement à Aix-en-Provence, la ville de Cézanne, que Zao Wou-ki (1920-2013) est le sujet d’une exposition, Il ne fait jamais nuit, orchestrée par Yann Hendgen et Erik Verhagen à l’hôtel de Caumont (jusqu’au 10 octobre). Un éclairage thématique déroulé chronologiquement, où l’on retrouve le peintre figuratif, venu se perfectionner en France en 1948, jusqu’au passage progressif vers l’abstraction, matérialisé par le tableau Vent de 1954, puis à son retour à la Chine sur la toile ou le papier, en passant par ses carnets de voyage, dont le périple au Japon effectué avec son comparse Soulages.
Le processus créatif de Zao fluctue au fil de ses relations conjugales. Quand ça tourne mal avec Lalan (épousée lorsqu’il n’a que 17 ans), il est dans la douleur de la rupture annoncée, comme l’illustre, en 1955, la Ville engloutie, où l’introduction d’idéogrammes, inspirée par sa découverte des signes de Paul Klee, se confronte à des masses colorées qui prennent le pouvoir. Ce sont les traces de couleur qui, dès lors, structureront sa peinture. Puis il y a May, atteinte d’une longue maladie qui aura raison d’elle. A l’époque, le peintre renoue avec l’encre de Chine sur les conseils de son ami Henri Michaux pour accoucher de toiles rougeoyantes traversées de traînées noires. Enfin vient Françoise, l’ultime compagne, incarnant l’intimité in fine apaisée. Le Triptyque de 1997-1998 témoigne de ce vent de liberté qui anime l’artiste en mêlant l’action painting new-yorkaise et la calligraphie orientale sur un fond de jaune éclatant.
Suivant la tradition de son pays natal, Zao Wou-ki a rendu hommage à ceux qui l’ont guidé. Michaux en est, bien sûr, mais aussi l’architecte catalan Josep Lluis Sert, concepteur de la Fondation Maeght, à Saint-Paul de Vence, et Matisse, dont Zao réinterprète la Porte-fenêtre à Collioure en y intégrant sa propre conception du vide et du plein. Sept décennies après sa Nature morte aux pommes, son Hommage à Cézanne, où l’arbre traversant le cadre telle une sentinelle dressée vers le ciel renvoie à La Montagne Sainte-Victoire au grand pin, confirme que l’ombre du génie aixois n’aura cessé de planer sur la trajectoire du Franco-Chinois. « Je peins ma propre vie, mais je cherche aussi à peindre un espace invisible, celui du rêve, d’un lieu où l’on se sent toujours en harmonie, même dans des formes agitées de forces contraires. »