Presse  30.09.21

VSD, « Zao Wou-Ki, une bouffée de lumière » par Brigitte Postel

Ce Français d’origine chinoise était l’un des plus célèbres peintres abstraits du XXe siècle. Une expo à Aix-en-Provence se développe autour des thèmes qui lui étaient chers : la couleur, l’espace et la lumière.

Réalisée en collaboration avec la Fondation Zao Wou-Ki, l’exposition intitulée « Il ne fait jamais nuit » rassemble 90 œuvres (huiles sur toile, aquarelles et encres de Chine sur papier) produites entre 1935 et 2009. L’artiste est né en 1920 à Pékin dans une famille d’intellectuels issue de l’ancienne dynastie Song. Le jeune Wou-Ki étudie la calligraphie avec son grand-père. À 15 ans, il entre à l’École des Beaux-Arts de Hangzhou où, pendant six ans, il reçoit une solide formation, alternant peinture traditionnelle chinoise et dessin classique d’après modèle vivant. Avant de vite s’affranchir du cursus imposé et d’opter pour la peinture à l’huile. Il est à cette époque particulièrement influencé par Cézanne, Matisse et Chagall, qu’il découvre à travers les illustrations des magazines occidentaux et les cartes postales de Paris rapportés par son oncle. Il décide alors de parfaire sa formation artistique en France. 

Arrivé en 1948, il s’installe à Montparnasse et intègre la Nouvelle École de Paris. Son séjour prend vite des allures d’exil en 1949, avec l’accession au pouvoir de Mao Zedong. C’est alors le début d’une vie faite de rencontres et de travail. Voisin d’Alberto Giacometti pendant près de dix ans, il en devient un ami proche. Et se lie au peintre Jean Dubuffet. Il noue une amitié indéfectible avec Henri Michaux, le premier à distinguer et valoriser son talent. 

La découverte de l’œuvre de Paul Klee en 1951 va jouer un rôle important dans sa trajectoire et le pousser vers l’abstraction lyrique, un mouvement caractérisé par l’improvisation, la spontanéité du geste, l’émotion de l’instant. À compter de cette date, il laisse de côté la figuration pure pour glisser vers l’abstraction. Dès 1953, le peintre bannit de son travail toute référence explicite au réel et retourne aux sources de la calligraphie qu’il conjugue à l’abstraction. La découverte de l’École de New York et l’apport de la technique traditionnelle de l’encre de Chine enrichissent son univers hybride, élaborant une peinture toujours à la frontière entre la figuration et l’abstraction, entre Orient et Occident.

Les expositions s’enchaînent : Paris, Chicago, Munich, New York. Ainsi que les voyages avec Pierre et Colette Soulages, notamment. En avril 1962, il illustre La Tentation de l’Occident d’André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, qui lui permet d’obtenir la nationalité française en 1964. Reconnu comme une figure majeure de la peinture contemporaine, Zao Wou-Ki poursuit son œuvre jusqu’en 2010, année où il arrête la peinture à l’huile, crée ses dernières aquarelles sur papier ainsi que quatorze vitraux pour le réfectoire du prieuré de Saint-Cosme, près de Tours. Il s’éteint en 2013 à Nyon, en Suisse, et est inhumé selon ses volontés au cimetière du Montparnasse, à Paris.

« J’aime une peinture méditée -plutôt qu’une peinture frappante », disait Zao Wou-Ki. Le parcours muséal, articulé en neuf séquences, est déroulé de manière chronologique, de ses œuvres de jeunesse, encore figuratives, jusqu’aux peintures les plus tardives, où la maîtrise de la couleur et la liberté du geste sont incomparables. La scénographie proposée par Hubert Le Gall, designer français, créateur et sculpteur d’art contemporain, plonge d’emblée le visiteur dans l’espace mental de ce peintre dont l’objet est de « donner à voir » ce qui ne se voit pas : « -l’espace du dedans »

Après le décès de sa deuxième épouse May, Zao Wou-Ki retourne en Chine en mars 1972 et retrouve sa famille pour la première fois depuis 1948. Il va alors renouer avec ses racines. Sa peinture se dilue et le vide occupe une place prépondérante. 01.04.81 (ses tableaux souvent sans titre sont intitulés de la date de la fin de l’œuvre) concrétise cette nouvelle manière de concevoir l’espace. Son atelier, désormais installé dans la grange de sa maison de campagne du Loiret, lui permet de peindre de grands formats, tel le triptyque de 1997-1998 où les couleurs saturées semblent exploser en dehors du cadre. Renouant avec la nature et le motif, il va à partir de 2007 peindre une magnifique série d’aquarelles, exposées ici pour la première fois, lors de ses séjours dans le Luberon chez son ami Emanuel Ungaro, un virage déroutant pour ceux qui veulent le cantonner à l’abstrait. Ainsi, « l’homme du double rivage », comme le désignait l’écrivain François Cheng, a su construire des ponts entre sa Chine natale et sa terre d’élection, la France. Une union qui célèbre cette attention au silence et au vide, dans une œuvre lumineuse qui n’a cessé de se renouveler.  

Les années 1960 se caractérisent par une facture à la fois convulsive et paradoxalement contrôlée. À partir des années 1970, il reprend la technique de l’encre de Chine avec de grandes compositions rougeoyantes zébrées de traînées noires. Le rouge, « couleur la plus noble » selon cet artiste qui croyait en la capacité de la peinture à saisir l’essence du monde. Son œuvre exalte l’effacement du réel dans une symphonie de couleurs pour entrer dans un monde d’énergie tout en délicatesse.

Après une première partie consacrée aux débuts en Chine, le visiteur découvre les œuvres réalisées en France. De ses premières années parisiennes, on retient les aquarelles faites sur des carnets lors de son Grand Tour à partir de 1950. Un des premiers tableaux accrochés, Il ne fait jamais nuit, qui a donné son intitulé à l’exposition, le révèle taraudé par la question de la lumière, de l’espace et du vide. « Je peins ma propre vie mais je cherche aussi à peindre un espace invisible : celui du rêve, du lieu où l’on se sent toujours en harmonie, même dans des formes agitées de forces contraires. »