Vue de l’exposition Zao Wou-Ki à l’Académie des arts de Hangzhou, en septembre 2023. ACADÉMIE DES ARTS HANGZHOU

Presse  24.11.23

Le Monde, « La Chine redécouvre Zao Wou-Ki » par Frédéric Lemaître

Deux cents œuvres de l’artiste sont exposées à l’Académie des arts de Hangzhou, où il avait étudié et enseigné

Dix ans après la mort de Zao Wou-ki, la Chine rend enfin un bel hommage au plus français de ses peintres. Ce sont 200 œuvres, dont 129 peintures à l’huile, qui sont exposées jusqu’en février 2024 à l’Académie des arts de Hangzhou, près de Shanghaï, où Zao Wou-ki a étudié et enseigné, et qui possède aujourd’hui le statut d’académie nationale. Comparée à la quarantaine d’œuvres accrochées au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2018, l’exposition chinoise est infiniment plus riche.

Elle est plus pédagogique aussi. L’Académie consacre en effet tout un étage à retracer la vie de ce fils de banquier né en 1920 dans une famille ancienne et aisée, qui a commencé à étudier la peinture en 1935, avant de partir – en principe pour deux ans – en France en 1948, mais où il est resté jusqu’à sa mort, en 2013. Accompagnée de plusieurs vidéos (dont son passage à « Apostrophes » en 1988), cette introduction est d’une rare honnêteté. Les visiteurs, nombreux, découvrent que Zao a failli se faire renvoyer de l’Académie non seulement parce qu’il refusait la discipline qui y régnait, mais aussi parce que, ne jurant que par l’art occidental, il avait, à l’examen sur l’art chinois, rendu une simple feuille de papier avec une tache
d’encre, ce qui lui avait valu un zéro, en principe éliminatoire.

Sans le soutien de certains de ses professeurs, le jeune rebelle aurait été renvoyé. Une fois devenu professeur, ce sont ses pairs, mais aussi l’ambassade de France en Chine qui l’ont encouragé à se rendre à Paris. Ses peintures l’y avaient d’ailleurs précédé puisque le Musée Cernuschi exposa dès 1946 une vingtaine de toiles du jeune enseignant. Dès son arrivée, le 1er avril 1948, après trente-six jours de voyage, Zao Wou-ki se précipita au Louvre, impatient de découvrir les toiles dont il ne ­connaissait que les reproductions.

Ayant obtenu la nationalité française dès 1964, grâce au soutien d’André Malraux, Zao Wou-ki fit de nombreux voyages en Asie. ­Japonais, Taïwanais et Hongkon- gais furent bien plus tôt sensibles à la qualité de sa peinture que la Chine communiste. Lorsque, en 1985, l’Académie de Hangzhou invita Zao Wou-ki à y enseigner durant un mois, le maître eut l’impression de ne pas être compris de ses élèves. Peindre en ne tenant compte que de leur « moi intérieur » était trop éloigné de ce qu’on leur avait ­jusque-là enseigné. Ce n’est qu’en 1998-1999, lors d’une première rétrospective de son œuvre dans plusieurs villes de Chine, que Zao eut l’impression que les Chinois acceptaient enfin sa peinture abstraite.

Entre deux mondes

Si l’exposition de Hanghzou n’est pas exhaustive Zao aurait peint 1 900 huiles sur toile selon la fondation présidée par sa dernière épouse, Françoise Marquet, elle montre l’évolution de son parcours et l’étendue de ses talents. Ses débuts figuratifs, sa période inspirée de Paul Klee, ses peintures abstraites, à l’huile sur toile essentiellement, mais aussi à l’encre de Chine, et même, dans les dernières années, à l’aquarelle, ses dialogues avec ses amis poètes Henri Michaux et René Char…

L’exposition permet de comprendre et d’apprécier ce parcours unique aux influences chinoises et occidentales intimement entre-mêlées. Si le public s’arrête devant de multiples tableaux, l’un est ­particulièrement mis en valeur : Hommage à mon ami Henri ­Michaux, un large triptyque de 7,5 mètres de long sur 2 mètres de haut, peint en 1999 et 2000. Une toile à la fois lumineuse, inspirée et inclassable à l’image à la fois du poète, mais aussi du peintre perpétuellement entre deux mondes.

L’exposition permet de comprendre et d’apprécier ce parcours unique aux influences chinoises et occidentales intimement entre-mêlées. Si le public s’arrête devant de multiples tableaux, l’un est ­particulièrement mis en valeur : Hommage à mon ami Henri ­Michaux, un large triptyque de 7,5 mètres de long sur 2 mètres de haut, peint en 1999 et 2000. Une toile à la fois lumineuse, inspirée et inclassable à l’image à la fois du poète, mais aussi du peintre perpétuellement entre deux mondes.

Comme bien d’autres toiles exposées, cet hommage est issu d’une « collection privée », précise le cartel accolé. On n’en saura pas davantage. Pour des raisons fiscales, nombre de collectionneurs privés ont accepté de prêter leurs œuvres à condition de rester anonymes. D’autres ont refusé. De nombreuses toiles de Zao Wou-ki ont en effet été achetées, depuis des décennies, par des collectionneurs taïwanais. D’ailleurs, c’est une revue taïwanaise qui, en 1972, publie le premier article en chinois sur Zao et, aujourd’hui, la Fondation Zao Wou-ki a installé à Taïwan sa responsable chargée des relations avec les collectionneurs et les musées asiatiques. Vu les tensions entre la Chine continentale et cette île dont Pékin ne reconnaît pas la souveraineté, plusieurs collectionneurs taïwanais, dit-on, ont refusé de prêter leurs toiles par peur soit d’apparaître en soutien de la Chine communiste, soit de ne jamais les récupérer. Même dix ans après son décès, Zao Wou-ki n’échappe pas aux soubresauts de la géopolitique.

D’ailleurs, cette exposition qui aurait dû voir le jour en 2020, centenaire de la naissance de Zao, mais a été reportée en raison de la politique zéro Covid, va figurer en bonne place parmi les événements organisés en 2024, décrétée « année franco-chinoise du tourisme culturel » par Emmanuel Macron et le président chinois Xi Jinping. En ayant suffisamment de flair politique pour quitter la Chine dès 1948, juste avant qu’elle ne se referme pour trois décennies sous le joug de Mao Zedong, Zao Wou-ki, homme libre s’il en est, est devenu, à son corps défendant, un symbole politiquement correct de l’amitié franco-chinoise.